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Le plus grand journal sportif du monde, MARCA, a interviewé le directeur général de Comparisonator, Tarkan Batgün, par l’intermédiaire de son journaliste spécialisé dans le big data, Miguel Ángel García. Voici les principaux titres de l’interview :

K.Tarkan Batgün arrive pour cette interview lors d’une journée spéciale : L’Espagne et la Turquie s’affrontent dans un match qu’il connaît bien du fait de sa double perspective d’analyste mondial et d’expert turc en intelligence artificielle appliquée au football. PDG de Comparisonator -une plateforme qui contextualise les performances, compare les joueurs entre les ligues et simule la manière dont ils s’adapteraient à de nouveaux environnements compétitifs, il a travaillé pour des clubs internationaux, des agences et des cabinets de conseil. Il a créé le “Scouting Lab” à Bursaspor, a siégé au conseil d’administration d’Altınordu FK, a conseillé des entreprises comme Wyscout et SoccerLab, et a été responsable du programme de scouting de NIKE Türkiye pendant six ans.

Dans cette perspective à multiples facettes, il affirme que le contexte est la clé de toute donnée et que l’IA n’a de sens que si elle nous aide à prendre de meilleures décisions. Dans cette conversation, il explique comment sa technologie traduit le football entre les ligues, détecte les risques cachés et prévient les transferts de plusieurs millions de dollars qui pourraient mal tourner.

Question : Vous avez travaillé sur quatre continents et vous insistez toujours sur le fait que les données sans contexte sont inutiles. Quel a été le plus grand choc culturel qui vous a obligé à réinterpréter complètement une donnée ou le profil d’un joueur ?

Réponse : Travailler sur quatre continents m’a très tôt appris une chose : un même chiffre peut avoir une signification complètement différente selon l’endroit d’où il provient. Le plus grand choc culturel, le moment qui m’a vraiment obligé à réinterpréter les données, s’est produit lorsque je suis passé du football structuré de l’Australie à l’environnement émotionnel, chaotique et de haute intensité de la Turquie.

Permettez-moi de vous donner un exemple concret : En Australie, j’ai analysé un milieu de terrain qui avait une excellente précision de passe : 92-93%. Dans cette ligue, cela indique généralement de l’intelligence, de la patience et un jeu de position bien entraîné. Mais lorsque je suis retourné en Turquie et que j’ai appliqué la même logique, j’ai réalisé quelque chose de choquant : un passeur avec 92 % dans le championnat turc n’est souvent pas très créatif. Il peut se contenter d’éviter les risques, de renvoyer le ballon ou de le relâcher immédiatement sous la pression.

C’est à ce moment-là que j’ai compris que le contexte dicte la vérité, et cela m’a poussé à créer Comparisonator comme un moteur contextuel pour les directeurs sportifs, les entraîneurs et les responsables du recrutement : pour réinterpréter les chiffres à travers le prisme du rythme du championnat, pour ajuster les performances au style tactique, pour comprendre comment un joueur se comporte en dehors de son environnement, pour aider les clubs à évaluer les talents de manière globale sans tomber dans des pièges statistiques trompeurs.

Un même chiffre peut avoir une signification totalement différente selon le pays d’où il provient.

Q : Votre carrière associe club, agence, conseil et enseignement. Qu’avez-vous appris dans chacune de ces fonctions que vous appliquez aujourd’hui directement à la conception de l’intelligence artificielle de Comparisonator ?

R. Chaque étape de ma carrière m’a donné une perspective différente sur le football, et aujourd’hui, toutes ces perspectives sont directement intégrées dans l’IA de Comparisonator.

Dans les clubs, j’ai appris que les décideurs n’ont pas de temps à perdre et qu’ils ont besoin de clarté. Ils ne veulent pas de “big data” ; ils veulent savoir si un joueur correspond à notre style ou non. C’est pourquoi notre IA se comporte davantage comme un conseiller d’aide à la décision que comme une machine à statistiques.

Le monde des agences m’a appris que les trajectoires des talents sont aussi importantes que le talent lui-même. En tant que consultant, j’ai appris que chaque club a une réalité différente. C’est pourquoi l’IA de Comparisonator s’adapte à l’utilisateur. Elle apprend le style, les besoins et les priorités du club et adapte ses recommandations en conséquence.

En enseignant et en donnant des conférences, j’ai appris que la compréhension vient de l’explication, pas des chiffres. C’est pourquoi nous avons créé CompaGPT : une IA qui explique les données footballistiques aux humains comme le ferait un recruteur ou un entraîneur expérimenté.

Q. À Bursaspor, vous avez créé le “Scouting Lab”. Quelle partie de cette idée est encore pertinente aujourd’hui et quelle est celle qui est devenue complètement obsolète avec l’IA actuelle ?

R : Grâce à mes mentors Christophe Daum et son assistant Rudi Verkempinck, le laboratoire de scouting de Bursaspor a été ma première tentative de créer une méthode systématique et factuelle d’évaluation des joueurs. De nombreux éléments de cette idée restent pertinents aujourd’hui, mais d’autres ont été complètement transformés par l’IA moderne. Disons que le “Scouting Lab” était la graine. La méthodologie (structure, clarté, collaboration) reste pertinente. Mais tout ce qui est manuel, répétitif ou subjectif a été remplacé par l’IA. Aujourd’hui, Comparisonator est le Scouting Lab transformé en un moteur d’intelligence global, dynamique et conscient de l’environnement.

Q. De nombreux clubs croient utiliser des données, mais en réalité, ils ne cherchent qu’à confirmer leurs opinions préconçues. Quelle est l’ampleur du bruit généré par ces préjugés dans le processus moderne de recrutement ?

R. La partialité est le coût caché le plus important du scoutisme moderne, et elle génère beaucoup plus de bruit que les clubs ne le réalisent. De nombreux clubs pensent qu’ils utilisent des données, mais en réalité, ils utilisent des chiffres pour justifier des décisions qu’ils ont déjà prises de manière émotionnelle. Cela crée trois problèmes majeurs : vous cessez de découvrir de nouveaux joueurs, car si les données ne servent qu’à confirmer une opinion, vous ne remettez jamais en question votre première impression et ne découvrez jamais de talents inattendus ; vous filtrez la vérité, car le biais de confirmation pousse les clubs à ignorer les signaux d’alarme ; et vous perdez votre avantage concurrentiel, car si tous les clubs utilisent les données pour étayer des convictions préexistantes, ils finissent tous par recruter les mêmes joueurs.

Le plus grand coût caché du scoutisme moderne est la partialité : elle fausse, limite et fait perdre des talents.

Q. Lorsqu’un rapport de Comparisonator contredit l’intuition d’un entraîneur ou d’un recruteur en chef, comment ce conflit est-il généralement résolu ? Qui a le plus souvent tort ?

R : Lorsque les données et l’intuition sont en désaccord, la première règle est simple : ne choisissez pas l’une ou l’autre option, approfondissez vos recherches. Un entraîneur voit des choses que les données ne peuvent pas voir : le langage corporel, la personnalité, le comportement à l’entraînement… Comparisonator voit des choses que l’entraîneur ne peut pas voir : l’adaptation au championnat, le stress tactique, les facteurs de risque cachés…

D’après mon expérience, en cas de conflit, la projection de l’environnement (comment le joueur s’adaptera à la ligue et au système) est généralement l’endroit où l’intuition sous-estime le risque. C’est précisément là que Comparisonator apporte une valeur ajoutée : il ne remplace pas le jugement humain, mais le protège plutôt des angles morts.

Alors, qui commet le plus souvent l’erreur ? Généralement, l’équipe qui ne tient pas compte du contexte. Et dans le football moderne, le contexte n’est pas négociable.

Q. La normalisation entre les ligues est l’un des plus grands défis du secteur. Quelle est la compétition qui résiste le plus à l’algorithme, et pourquoi ?

R. La ligue qui oppose le plus de résistance à tout algorithme est celle où le football est le moins standardisé, où le rythme, la structure et la discipline tactique varient énormément au cours d’un même match.

Pour nous, il s’agit généralement de ligues présentant des différences significatives dans la qualité des terrains, un rythme de jeu imprévisible, une organisation défensive incohérente et une intensité émotionnelle extrême. La standardisation est le problème ; l’intelligence contextuelle est la solution.

Q. Vous parlez beaucoup des points AI, des tendances, de la régularité et du rôle fonctionnel. Parmi tous ces indicateurs, lequel prédit le mieux la progression future d’un joueur ?

A. L’indicateur le plus fiable de la progression future d’un joueur est la cohérence de ses performances dans différents environnements. Les points d’intelligence artificielle, les tendances et les indicateurs de rôle sont importants, mais le véritable indicateur est le suivant : Le joueur continue-t-il à être performant lorsque le contexte change ? Un rythme différent, une pression différente, des exigences tactiques différentes, une qualité d’adversaire différente.

Le transfert virtuel a déjà permis d’éviter des recrutements qui auraient coûté des millions aux clubs.

Les joueurs qui maintiennent leurs performances dans plusieurs environnements progressent presque toujours. Les joueurs qui sortent de leur zone de confort n’y parviennent presque jamais. C’est pourquoi Comparisonator se concentre si fortement sur la stabilité des performances, la traduction en ligue, les indicateurs d’adaptabilité et le comportement des rôles sous pression.

Q. Virtual Transfer vous permet de simuler les performances d’un joueur dans un autre championnat. Avez-vous des cas documentés où le modèle a empêché un club de faire une mauvaise signature ?

R. Oui, plusieurs, mais je ne peux pas révéler les noms des clubs ou des joueurs. Ce que je peux dire, c’est ceci : Le transfert virtuel a déjà permis aux clubs d’économiser des millions. Un cas récent est celui d’un attaquant très recherché dans un championnat rapide et ouvert. Ses statistiques brutes étaient spectaculaires : dribbles, courses progressives, buts attendus… Tout laissait à penser qu’il s’agissait d’une recrue essentielle.

Mais lorsque nous l’avons fait passer par Virtual Transfer et que nous avons simulé ses performances dans l’un des cinq plus grands championnats européens, deux signaux d’alarme sont immédiatement apparus : son efficacité a chuté de près de 50 % sous une pression défensive accrue et sa prise de décision s’est considérablement ralentie dans des environnements tactiques structurés. Le club a bloqué le transfert. Deux mois plus tard, il a signé pour une autre équipe européenne et a connu des difficultés dans les domaines que notre modèle avait prédits.

Tel est l’objectif principal de Virtual Transfer : ne pas dire “non”, mais révéler la vérité sur la manière dont un joueur se comporte en dehors de sa zone de confort. Dans le recrutement moderne, cette clarté peut faire la différence entre une signature réussie et une erreur très coûteuse.

Q. Les plateformes et les modèles d’IA promettent d’éliminer les biais, mais ils peuvent aussi en générer. Quel a été le plus grand “faux positif” ou la plus grande défaillance du système qui vous a obligé à revoir le modèle ?

R. Le plus grand faux positif que nous ayons eu venait d’un joueur qui semblait exceptionnel parce que l’environnement de sa ligue gonflait artificiellement ses forces. Il jouait dans une compétition où la pression défensive était très faible, où les espaces étaient très ouverts, où les transitions étaient chaotiques et où les zones de récupération du ballon étaient extrêmement élevées.

Sur le papier, ses paramètres étaient excellents. Notre modèle initial le plaçait très haut dans sa position. Mais lorsqu’il est passé dans une ligue plus structurée, tout s’est effondré. Non pas parce qu’il manquait de talent, mais parce que son environnement avait créé une illusion statistique.

L’IA ne devient pas dangereuse en faisant des erreurs, mais en ne comprenant pas le contexte.

Ce fut un tournant pour nous. Nous avons réalisé que le modèle avait besoin d’une pondération plus profonde. Nous avons reconstruit le moteur de manière à ce que la distorsion environnementale soit désormais l’une des premières choses que le système vérifie.

La leçon est simple : L’IA ne devient pas dangereuse lorsqu’elle commet des erreurs ; l’IA devient dangereuse lorsqu’elle ne comprend pas le contexte. Cet échec a rendu Comparisonator plus fort, plus prudent et beaucoup plus adaptable.

Q. Vous avez travaillé sur des marchés sous-évalués et dans des ligues de haut niveau. Quel schéma commun trouvez-vous chez les joueurs qui s’adaptent le mieux lorsqu’ils font un bond soudain dans la compétition ?

A. Sur tous les continents, les joueurs qui s’adaptent le mieux après un changement majeur dans la compétition partagent le même schéma : ils apprennent rapidement, et pas seulement parce qu’ils sont rapides. Les joueurs qui réussissent sont ceux qui peuvent recalibrer leurs habitudes presque immédiatement lorsque l’environnement change.

Q. De plus en plus de clubs cherchent le prochain Haaland avant qu’il n’apparaisse sur la scène. Est-il réaliste de penser que l’IA peut anticiper les talents générationnels ou sommes-nous encore en train de courir après des licornes ?

R : L’IA peut identifier très tôt des modèles extraordinaires, mais elle ne peut pas créer un Haaland. Le talent générationnel ne se prédit pas, il se confirme au fil du temps. Ce que l’IA peut faire, c’est reconnaître les signes qui apparaissent généralement avant un saut majeur. Une licorne devient une licorne en raison de son environnement, de sa formation, de sa personnalité et de son état d’esprit, et pas seulement en raison des métriques. L’IA détecte le potentiel. Les recruteurs humains trouvent le destin.

Q. Après 20 ans dans le football et la technologie, quelle vérité inconfortable pensez-vous que l’industrie du scoutisme doit entendre si elle veut passer à l’étape suivante ?

R. La plupart des clubs n’ont pas de problème de recrutement, mais un problème de prise de décision. Les clubs rassemblent des tonnes de rapports, de vidéos, de statistiques et d’opinions… mais quand vient le moment de passer à l’action, beaucoup prennent encore des décisions basées sur les émotions, la politique, la hiérarchie ou la panique.

L’étape suivante n’est pas de disposer de plus de données. C’est une plus grande discipline dans la manière dont les décisions sont prises. Et c’est précisément pour cela que nous avons créé Comparisonator : non pas pour remplacer les éclaireurs, mais pour forcer les décisions à être plus claires, plus justes et plus difficiles à manipuler.

Cliquez ici pour lire l’interview originale : https://www.marca.com/futbol/2025/11/18/tarkan-batguen-datos-e-intuicion-chocan-hay-elegir-hay-investigar.html

Kemal Taş

Football enthusiast and editor @ Comparisonator.

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